Comme une chappe de plomb, la tristesse et la désolation se sont abattues sur Abidjan lorsque le dernier tireur égyptien a catapulté la balle au fond des filets de Jean-Jacques Tizié, l'infortuné gardien de but des Eléphants, l'équipe nationale de football de Côte d'Ivoire.
Didier Drogba, capitaine de la formation ivoirienne, qui avait brillamment qualifié son pays pour la finale, au détriment de leurs éternelles bêtes noires, les Lions indomptables du Cameroun, avait raté son penalty quelques minutes auparavant.
Incrédules, comme pétrifiés, des milliers de supporters qui s'apprêtaient à faire la fête, sont restés longtemps devant le petit écran. Dans l'attente d'une hypothétique reprise d'une rencontre dont ils se refusaient à croire qu'elle était définitivement consommée!
Mais, il fallait hélas se rendre à l'évidence. Dame coupe ne se rendra pas, cette année encore, sur les bords de la lagune Ebrié où tout avait été pourtant mis en oeuvre pour lui réserver un accueil coloré, particulièrement festif et fort arrosé dont on se souviendrait sans doute encore longtemps dans les chaumières et les "maquis" de la capitale économique.
"Ce n'est pas possible, ils ont "travaillé le pied de Drogba, sinon il ne pouvait pas rater ça", se lamente un spectateur qui croit dur comme fer que l'échec de la star, véritable icône dans son pays, ne peut être imputable qu'à l'oeuvre de forces mystiques!
"ça c'est sûr!, renchérit la servante du maquis ''Le Repère", totalement découragée par la perspective de ne plus pouvoir écouler l'impressionnante commande de bière du matin, faite assurément en prévision de la victoire annoncée des Eléphants.
"Les Egyptiens ont dû certainement faire intervenir tous les marabouts du pays pour lire le Coran durant tout le match! Comment voulez-vous gagner dans ces conditions!?", s'interroge-t-elle, comme pour tenter de remonter le moral à la vingtaine de clients attablés autour d'un cimetière de bouteilles de bière vides.
"Ecoutez! c'est la volonté de Dieu. Le Seigneur ne peut pas toujours donner aux mêmes. Les Egyptiens nous ont bien aidés à nous qualifier pour la Coupe du monde en jouant un match propre contre le Cameroun. Et puis comme c'est le pays organisateur, moi je ne suis pas mécontent qu'ils aient gagné aux tirs au but. C'est pour moi une sorte de prime à la loyauté!", avance un vieil homme qui est resté vissé sur son escabeau durant plus de deux heures.
La défaite des Eléphants a été d'autant plus durement perçue par les Ivoiriens que rien n'était venue ébranler leurs certitudes en la victoire finale, après leur sortie victorieuse contre Samuel Eto'o fils et ses camarades. D'avoir vaincu le signe indien a regonflé à bloc une équipe qui possédait certainement l'effectif le plus complet de la 25ème Coupe d'Afrique des nations.
Aussi les compatriotes du président Laurent Gbagbo ont-ils commencé à faire la fête plus de 48 heures avant le match sur l'ensemble des dix communes d'Abidjan et dans toutes les villes de l'intérieur, y compris dans les zones sous contrôle des Forces nouvelles, l'ex-rébellion, qui avaient intensément vibré et communié avec leurs concitoyens du Sud, au lendemain de la brillante qualification de la bande à Drogba.
L'excès de confiance est un terrible défaut ivoirien. Un certain soir du mois de décembre 1995, il avait privé l'ASEC d'Abidjan, l'équipe la plus titrée de Côte d'Ivoire, de la couronne de champion d'Afrique, après sa terrible déconvenue contre l'équipe sud-africaine d'Orlando pirates qui, après avoir été tenue en échec au match aller à domicile (2-2), était venue s'imposer à Abidjan (1-0), provoquant un véritable traumatisme au plan national.
Mais qu'importe, moins de deux heures après la fin du match qui a ruiné les espoirs de tout un peuple, les Ivoiriens semblaient avoir quelque peu digéré l'échec des Eléphants qu'ils s'apprêtent à accueillir dignement samedi aux aurores, avec à leur tête le chef de l'Etat Gbagbo Laurent.
Tout le monde se console déjà comme il peut, en pronostiquant une bonne prestation de l'équipe nationale au Mondial allemand de cet été.
"Nous irons au moins en demi finale", assurent beaucoup de supporters, qui semblaient avoir retrouvé cet incroyable aplomb qui rend les Ivoiriens si attachants. Sauf lorsqu'il leur joue des tours pendables et les plonge dans un abîme insondable de tristesse, les soirs de déroute. Comme un certain 4 septembre lorsqu'un certain Eto'o fils et ses complices ont envoyé les Abidjanais au lit... à 19 heures!