La Côte d'Ivoire était la troisième sélection des quarts de la CAN, après la RD Congo et la Guinée, à entrer sur le terrain avec quelque chose de plus sur les épaules que la pression de jouer pour sauver leur réputation ou la tête de leur entraîneur. Bien d'autres pays plus riches et plus calmes partagent cette fierté des succès du onze national, mais peut-être les victoires réjouissent-elles plus profondément les supporteurs qui subissent la pauvreté, la famine ou la guerre.
Les Eléphants savent que, dans un pays coupé en deux depuis quatre ans, sans guère de signe d'accalmie, ils peuvent apporter un peu de réconfort aux deux camps.
"Nous avons une réelle responsabilité, car notre pays est en guerre", avait dit le défenseur Kolo Touré avant le début de la CAN. "Nous voulons montrer que la Côte d'Ivoire, ce n'est pas seulement la guerre, et nous savons que tout le pays compte sur nous pour donner une meilleure image" des Ivoiriens, avait-il insisté.
Peu d'équipes, en effet, auraient fêté la première qualification de leur histoire pour une Coupe du monde par une prière pour la paix, comme l'a fait la Côte d'Ivoire en novembre autour de Didier Drogba, meilleur joueur, guide et buteur des Eléphants.
Agenouillés dans les vestiaires, enlacés en ronde, ils avaient écouté le joueur du Chelsea à paillettes supplier au micro de la télévision: "Ivoiriens, nous vous demandons de pardonner. Rassemblons-nous et oublions cette guerre". Il avait élevé en exemple les Eléphants, qu'ils soient du Nord ou du Sud unis pour la victoire.
La RD Congo a traversé une guerre civile bien plus sanglante et meurtrière, dont les braises brûlent encore. Et certains joueurs des Simbas sont très loin de l'image des stars surpayées du football professionnel occidental. Ceux des grands clubs locaux, comme le Tout-Puissant Mazembe Lubumbashi, payés une trentaine de dollars par mois - une fortune en RD Congo -, sont forts conscients de leurs responsabilités.
"Le peuple a vraiment souffert et n'a pas eu de raison de goûter la vie", explique Lomana LuaLua, le capitaine congolais, qui, à Portsmouth, jouit d'un salaire "Premier League".
"Nous pouvons au moins les soutenir un peu, leur donner une raison de sourire" poursuit le joueur arrivé en Angleterre à 10 ans.
Les Congolais n'ont pas souri plus loin que les quarts, balayés par l'Egypte 4 à 1. Mais les Simbas ont tout de même rempli leur mission en permettant à leurs supporteurs de penser à autre chose pendant quinze jours.
La Guinée aussi a quitté l'Egypte après les quarts, battue 3-2 par le Sénégal. "Beaucoup de gens en Guinée nous montrent du doigt quand nous revenons au pays et disent que nous ne n'y sommes qu'en vacances, pour montrer que nous sommes plus riches qu'eux", raconte le meilleur joueur guinéen, Pascal Feindouno.
"Nous avons prouvé ici à ces gens qu'ils avaient tort (le Sily national a gagné ses trois matches de poule), rendu fier de nous le peuple guinéen et avons détourné pour un temps leurs esprits de la misère quotidienne", conclut-il.
Ce ne sont pas ces motivations que mettent en avant les joueurs des riches pays européens quand ils portent le maillot national. Porter les couleurs d'une sélection africaine permet de jouer, plus que pour sa propre gloire, pour offrir à un peuple en difficulté la sensation, même volatile et illusoire, de se sentir mieux.